Faut-il reduire la duree du mandat présidentiel ?

 

                              

          Cet article a été publié par "Les petites affiches " le 28 août 1999dans son numéro 168 pages ( 4 à 10)

 

L’instauration du quinquennat est un thème récurrent. Georges Pompidou  lui donnera ses contours officiels en initiant une révision de la Constitution qu’il ne pourra mener à bien. [1] Depuis, tous les Présidents de la République se sont prononcés pour le quinquennat quand ils n’étaient que candidats à l’élection, mais aucun n’a pu ou n’a voulu, une fois élu, l’instaurer.

La doctrine quant à elle semble également à priori généralement favorable. Ainsi un « Groupe des cinq » proposait-il  de « changer la République » en ramenant notamment le mandat présidentiel à cinq ans [2] . Pourtant le Comité consultatif pour la révision de la Constitution n’avait pu dégager une solution sur ce point [3] . La cohabitation a bien sûr relancé le débat. [4]

    On pourrait être tenté de dire que ce n’est pas en réduisant la durée du mandat que l’on changera fondamentalement nos institutions. Pourtant cela engendrerait incontestablement des modifications plus ou moins importantes dans le fonctionnement du régime.

Ainsi, le maintien du septennat conforterait-il la situation actuelle et récente, c’est à dire un fonctionnement parlementaire de nos institutions interrompu par la réapparition du présidentialisme majoritaire alors que l’instauration du quinquennat déboucherait soit sur un présidentialisme renforcé  soit sur un régime présidentiel

  Dans un cas, celui du septennat, il y aurait alternance de régimes dans un sens ou dans l’autre. Ce serait donc une bonne solution mais faussée par cette alternance (I ). Dans l’autre cas, celui du quinquennat, on pourrait espérer voir les institutions fonctionner sur un seul mode. Mais ce mode unique ne serait pas forcément le meilleur. En apparence le quinquennat est une bonne solution, en réalité  elle comporte beaucoup plus de défauts qu’il n'y parait à priori : c’est une fausse bonne solution. (II)

 

 I – LE SEPTENNAT : UNE BONNE SOLUTION FAUSSEE

 

Le choix de maintenir le septennat traduirait la volonté de renforcer la position du Président de la République dans un cadre parlementaire. C’est la raison pour laquelle  Jacques Chirac s’est prononcé récemment pour le septennat [5] . Certains analystes préconisent une telle solution car elle permettrait d’échapper aux défauts du système actuel en élargissant les espaces et les lieux du débat public [6] . Enfin, d’autres auteurs voyant dans la cohabitation un phénomène révélant la vraie nature parlementaire du régime, souhaitent implicitement le maintien de la durée actuelle du mandat présidentiel [7] . Le septennat serait donc une bonne solution. Mais elle pourrait être faussée comme elle a pu l’être dans le passé par une pratique particulière des institutions  débouchant sur une dérive présidentialiste.  

A – Le choix d’un fonctionnement parlementaire rénové

           

Ce choix constitue un retour aux sources de la Ve que réhabilitent les circonstances actuelles.  

a– Un choix qui constitue un retour aux sources  

La loi constitutionnelle du 3 juin 1958 prévoyait que le futur régime devait être parlementaire. Toutefois il devait s’inscrire dans le cadre d’une séparation «effective » des pouvoirs. Il apparaît ainsi, que l’intention des Constituants était bien d’instaurer un régime parlementaire «rénové ». Ces intentions se traduiront bien sûr dans la Constitution et la pratique institutionnelle qui suivra.

 

    1° Les intentions des constituants

Le Général de Gaulle, dans le discours de Bayeux, avait dès 1946 annoncé les contours du régime qu’il souhaitait pour la France. Il y insistait sur le rétablissement de l’Etat qui devait passer par le renforcement du  Président de la République. L’aspect parlementaire du régime était explicitement annoncé à travers l’existence de la responsabilité politique du «Gouvernement devant la représentation nationale tout entière ». Mais le Gouvernement devait «procéder » du Chef de l’Etat et non pas des Assemblées. C’est donc un régime parlementaire rénové que dessinait ainsi à grands traits le général de Gaulle. La rénovation consistant essentiellement dans un rôle d’arbitre national reconnu au  Président de la République.

C’est cette conception que Michel Debré exposera devant le Conseil d’Etat, lorsqu’il présentera le projet de Constitution en 1958 : « un chef de l’Etat et un Parlement séparés, encadrant un Gouvernement issu du premier et responsable devant le second ». Il prendra soin d’ajouter que le président de la République doit être la clef de voûte des institutions.

    2° Leur traduction dans la Constitution  et la pratique

Ces intentions clairement énoncées seront reprises dans la Constitution. Elles se traduiront notamment dans l’article 5 qui fonde dans le texte de la Constitution le rôle éminent du Président s’exerçant dans un cadre parlementaire que  rappelle l’article 20 à travers l’énoncé de la responsabilité du Gouvernement. Ainsi  se mettait en place un régime parlementaire «à correctif présidentiel » [8] , version moderne du régime parlementaire dualiste. [9]

C’est sur ce mode que fonctionnera la Ve durant ses premières années de 1959 à 1962. Michel Debré devenu Premier ministre aura l’occasion de pratiquer le régime qu’il dessinait à grands traits devant le Conseil d’Etat, mais avec quelques petites différences. Au Président de la République reviendra la responsabilité de définir les grandes orientations et notamment dans le domaine de la politique étrangère et bien sûr s’agissant de l’Algérie. Au Premier ministre reviendra le soin de mettre en œuvre cette politique avec le soutien de l’Assemblée Nationale, ce qui ne sera pas toujours facile. Son successeur, Georges Pompidou n’y parviendra pas et sera renversé en 1962. Au fil des ans, le rôle du  Président de la République évoluera, d’arbitre il se transformera en guide. Il accaparera de plus en plus le pouvoir et ce d’autant plus qu’à l’Assemblée Nationale la majorité sera stabilisée. L’élection présidentielle au suffrage universel direct achèvera la transformation du régime en présidentialisme majoritaire.  

b – Un choix réhabilité par les circonstances actuelles  

Aujourd’hui, choisir de maintenir le septennat ne peut s’interpréter que comme une volonté de privilégier le régime parlementaire. La cohabitation que nous vivons constitue en effet, sur le plan de l’interprétation du système, une «revanche du régime parlementaire » [10] Mais le retour du régime parlementaire doit être nuancé.

    1° La cohabitation ou « la revanche du régime parlementaire »

Dès lors que le  Président de la République ne peut plus compter sur une majorité de députés, il cesse de capter « la puissance majoritaire » [11] qui naturellement profite désormais au Premier ministre, c’est la « revanche du régime parlementaire » qui se traduit par une relecture de l’article 20 plus conforme à la lettre de la Constitution. Pour autant, le  Président de la République «ne reste pas inerte » il s’appuie sur l’article 5.

Ne procédant plus du Chef de l’Etat mais bénéficiant d’une légitimité qu’il tient de la majorité parlementaire dont il est le chef, le Premier ministre «détermine et conduit la politique de la Nation » avec le soutien de l’Assemblée Nationale conformément à l’article 20.

Le Premier ministre est ainsi en mesure de jouer un rôle de tout premier plan car non seulement il dispose de l’administration et de l’armée en vertu de l’article 21, mais de plus il conduit la majorité parlementaire en raison du phénomène majoritaire ou du parlementarisme rationalisé. La fonction gouvernementale est toute entière exercée par le Premier ministre et non plus usurpée par le  Président de la République. Le caractère parlementaire du régime devient plus évident. De directeur de cabinet du Chef de l’Etat, le Premier ministre devient le Maire du palais pour reprendre l’expression de Pierre Avril. [12]

Pour autant, le rôle du Président n’est pas réduit à néant. Dans le domaine éminent de la politique étrangère et de la défense il va de concert avec le Premier ministre déterminer les grandes options et ce en raison de l’article 5 qui lui confère des responsabilités en tant que “garant de l’indépendance de la Nation, de l’intégrité du territoire et du respect des traités”.

Mais l’article  5 confère également au  Président de la République une fonction d’arbitre dans le domaine du fonctionnement régulier des pouvoirs publics et à ce titre il continue d’exercer ses pouvoirs propres parmi lesquels il faut insister sur la dissolution.

Enfin, il reste cette faculté d’empêcher et cette capacité de nuire qui trouve son origine dans la légitimité populaire qu’a acquis le Président par son élection au suffrage universel direct.

En vertu de cette légitimité populaire, la signature des actes présidentiels ne peut pas être considérée comme devant aller de soi. En effet le Chef de l’Etat devient véritablement titulaire des pouvoirs que la Constitution  lui attribue. Aussi, dans l’hypothèse des pouvoirs partagés par le contreseing du Premier ministre, le  Président de la République dispose d’un véritable droit de veto. [13] C’est la faculté d’empêcher.

Cette même légitimité populaire lui permet de se prononcer sur les projets du Gouvernement, de les critiquer, bref de gêner le Premier ministre sur un plan politique. C’est la capacité de nuire ou encore l’exercice de la fonction tribunitienne. [14]

La cohabitation a donc révélé la nature parlementaire de la Constitution et du régime. [15] Mais les cohabitations, puisque nous en sommes à la troisième, consacrent un retour du régime parlementaire qui est suceptible de nuances et d’interrogations quant à son exercice et sa pérennité.

    2° Les cohabitations ou le retour nuancé du régime parlementaire

S’agissant du fonctionnement parlementaire du régime en période de cohabitation, on s’aperçoit qu’avec le temps, le rôle du  Président de la République y est de plus en plus réduit effectivement. Lors de la première cohabitation, François Mitterrand avait poussé ses prérogatives le plus loin possible. On voyait fonctionner à nouveau ce fameux régime parlementaire rénové que préconisait Michel Debré.

Lors de la deuxième cohabitation, la position du  Président de la République a été moins forte notamment dans le domaine des relations internationales où il a dû laisser plus de place au Premier ministre.

Enfin, la position du Président pendant la cohabitation actuelle paraît encore plus faible ne serait-ce que parce qu’elle est le résultat d’une dissolution manquée qui place le Président dans une situation inconfortable.

Si la cohabitation devait durer il semble que la place du  Président de la République dans le régime parlementaire se réduirait encore démontrant ainsi le caractère chimérique d’un parlementarisme rééquilibré en faveur du Chef de l’Etat. Au contraire, le Premier ministre verrait sa position se renforcer et se rapprocher de celle du Premier ministre britannique. Du régime parlementaire « rénové » on passerait au régime parlementaire anglais !

En ce qui concerne la pérennité du retour au régime parlementaire, on doit être réservé. Les deux premières cohabitations ont été perçues comme des parenthèses. D’abord parce qu’elles se situaient en fin de mandat présidentiel, ensuite parce qu’elles ne devaient durer que deux ans. Deux ans de cohabitation pour cinq ans de présidentialisme majoritaire ! Ce que le Doyen Vedel devait traduire par sa formule 7 = 5 + 2. [16] Le retour du régime parlementaire était donc tout à fait exceptionnel.

Mais, la cohabitation actuelle devrait durer cinq ans ! D’exception, la cohabitation tend à devenir le principe. Pour autant ce  principe pourrait facilement être écarté. Il suffirait pour cela que lors de la prochaine élection présidentielle, normale ou provoquée la jonction des majorités se réalise à nouveau pour qu’on revienne  au présidentialisme majoritaire. La position du  Président de la République est certes amoindrie, mais elle ne le sera pas définitivement. Le choix d’un fonctionnement parlementaire du régime qu’implique le septennat serait donc faussé.

 

B – Mais un choix faussé par une dérive présidentialiste

 

Cette dérive prend la forme d’une hégémonie présidentielle. Elle a connu quelques limites.  

a – Une dérive qui se traduit par l’hégémonie présidentielle

L’hégémonie présidentielle est un phénomène dont les origines sont relativement connues et qui se manifeste de diverses manières.

    1° L’origine du phénomène

Si 1962 est considéré comme un tournant  capital de la Ve République, c’est parce que l’élection présidentielle au suffrage universel direct sera décidé. Mais c’est aussi parce que le phénomène majoritaire apparaîtra et durera. Ce sont là les deux causes de la prépondérance présidentielle.

La première est évidente. Comme l’a écrit le doyen Vedel :  « La position d’un candidat qui ne promettrait que l’arbitrage au sens faible est sans avenir » [17] . C’est ce que constatera à ses dépends Alain Poher lors de l’élection de 1969. L’onction populaire ne peut que conduire au développement des prérogatives présidentielles. C’est là un phénomène quasiment mécanique que l’on a pu vérifier au lendemain des élections présidentielles de 1988 et de 1995. François Mitterrand comme Jacques Chirac avaient annoncé durant leur campagne électorale qu’ils exerceraient une présidence plus modeste. Or il n’en a rien été dans un cas comme dans l’autre.

La deuxième raison de l’hégémonie présidentielle réside sans conteste dans le «phénomène majoritaire à la française » [18] . La Ve République a vu en effet apparaître non seulement une majorité parlementaire cohérente et stable comme en Grande Bretagne, mais de plus celle-ci se réclame du  Président de la République et le soutient. « Le fait majoritaire à la française résulte de la coïncidence durable des majorités parlementaire et présidentielle » [19] . Ce couplage des majorités profite au  Président de la République qui devient ainsi le chef de tout l’exécutif, en même temps qu’il conserve son rôle de chef de l’Etat. C’est donc le double soutien, populaire et parlementaire, qui explique la domination présidentielle.

    2° La manifestation du phénomène

Fort de ce double soutien, le  Président de la République  cesse d’être seulement cet arbitre national dont l’article 5 dessinait les contours. Il devient le responsable d’une politique pour laquelle il a été élu.

Techniquement parlant cela se traduit par une double adjonction de pouvoirs à ceux qu’il continue d’exercer : les pouvoirs propres.

Tout d’abord le Président «absorbe la fonction gouvernementale ». C’est lui qui de fait va déterminer la politique de la Nation, privant ainsi le Gouvernement d’une partie des prérogatives que lui confère l’article 20 en le confinant à un rôle de simple exécutant. Il ira même jusqu’à empiéter sur la fonction parlementaire en inspirant et en imposant un certain nombre de lois et devenant ainsi un véritable «Président-législateur » [20]

Mais le  Président de la République ne se contente pas de ce premier élargissement de ses pouvoirs. Il exerce également et pleinement les pouvoirs dits partagés qui ne le sont plus effectivement. Le contreseing lui est en effet acquis d’avance : quel Premier ministre pourrait lui refuser puisque politiquement parlant le chef du Gouvernement voit dans le  Président de la République son chef ! De même la proposition préalable, autre technique de partage, sera sollicitée par le  Président de la République et bien sûr obtenue devenant une simple formalité.

Ainsi les Présidents de la Ve ont-ils pu choisir leurs ministres, organiser des référendums et même signer des décrets non délibérés en Conseil des Ministres ! La Monarchie républicaine était en marche.  

b – Une dérive qui a connu des limites  

Cette dérive présidentialiste  a pris une telle ampleur qu’elle caractérise le fonctionnement de la Ve. Or elle n’existe que du fait de la présence d’une majorité parlementaire forte stable et cohérente couplée à la majorité présidentielle. Que le phénomène majoritaire connaisse quelques difficultés et la dérive présidentialiste se stabilise, voire régresse. Par deux fois on a pu le vérifier.

    1° La fracture des majorités

La démission de Jacques Chirac de ses fonctions de Premier ministre, le 25 août 1976 allait entraîner une situation inédite : celle d’une majorité parlementaire fracturée. Le nouveau Gouvernement conduit par Raymond Barre devra en effet affronter une véritable guérilla parlementaire, le groupe RPR ne le soutenant plus sur un certain nombre de textes. « Est-il normal que la majorité de la majorité parlementaire veuille imposer sa loi au Premier ministre qui a la confiance du chef de l’Etat ? » [21] . Cette question  montre à quel point la rupture de la majorité entraîne une remise en cause de la prééminence présidentielle.

            Toutefois cette rupture n’était pas totale, le  RPR n’était pas prêt à franchir le Rubicon  politique que représente le vote d’une motion de censure, aussi le Premier ministre saura en tirer parti. Il aura recours aux armes du parlementarisme rationalisé, et notamment à l’article 49.3 qu’il utilisera «en cascade ». Avec un Premier ministre aux avant-postes et servant de bouclier, le  chef de l’Etat a pu sauver en  partie les apparences d’un présidentialisme qui n’était plus tout à fait majoritaire. Une situation assez proche se présentera quelques années plus tard.

    2° L’insuffisance des majorités

Réélu en 1988, François Mitterrand ne disposait pas à l’Assemblée Nationale d’une majorité aussi utilisera-t-il de nouveau la dissolution, mais le Parti socialiste qui seul le soutenait vraiment n’obtiendra que la majorité relative au Palais Bourbon. Une figure nouvelle de la Ve allait se mettre en place : celle d’une «présidence relative » [22] .

Une fois de plus le  Président de la République ne disposant pas pleinement du soutien parlementaire devra s’effacer quelque peu et mettre en première ligne le Premier ministre. A lui reviendra la tâche de réunir une majorité pour faire passer ses projets de loi. Que se soit en douceur, en convaincant certains députés de voter pour le texte ou au moins de s’abstenir. Que se soit de manière plus brutale en recourant  à l’article 49.3. Dans ces situations d’incertitude majoritaire le recours au parlementarisme rationalisé devient la règle.

Si selon le mot de Jean Gicquel la présidence fut en retrait, elle ne cessa pas d’être active [23] . François Mitterrand su en effet tirer parti de toutes les situations. En particulier il fut servi par la Guerre du Golfe qui lui permit de jouer un rôle de premier plan de même que par la question de la ratification du traité de Maastricht. Se concentrant sur le domaine éminent, mais ne délaissant pas complètement les questions sociales  le chef de l’Etat laissait au Premier ministre le soin d’assumer  «son devoir de grisaille » [24] .

Ces situations d’insuffisance ou de fracture des majorités pourraient très bien réapparaître.

 

Le septennat ne peut donc que déboucher sur « un régime mixte à fonctionnement alternatif » [25] où se succéderaient le régime parlementaire et le présidentialisme majoritaire. Le rôle du président pouvant lui-même évoluer dans le cadre de chacun de ces deux types de fonctionnement. En cela le septennat qui a pu apparaître comme une bonne solution a été faussée. Pour autant, le quinquennat n’est pas la bonne solution.

 

II – LE QUINQUENNAT : UNE FAUSSE BONNE SOLUTION

 

Si le quinquennat était instauré il conduirait vraisemblablement soit à l’instauration d’un régime présidentiel soit au renforcement du présidentialisme majoritaire. L’une et l’autre solution  ne présentant pas nécessairement que des avantages.  

A – Une étape vers le régime présidentiel

 

Nombreux sont ceux qui voudraient instaurer  un régime présidentiel. Toutefois, il ne suffirait pas de réduire à cinq ans le mandat présidentiel pour que fonctionne un tel régime, un certain nombre de transformations institutionnelles seraient nécessaires. Il n’est pas certain qu’une telle évolution soit sans dangers.  

a – L’accompagnement institutionnel nécessaire.  

L’instauration du régime présidentiel  résulterait d’un certain nombre de suppressions majeures qu’il faudrait compléter par quelques modifications secondaires. [26]

    1° Les suppressions majeures 

Le régime présidentiel se caractérisant par un isolement des pouvoirs, il faudrait supprimer les moyens d’actions réciproques que le régime parlementaire implique.

La première suppression concerne la responsabilité politique du Gouvernement devant le parlement prévue par l’article 20 ainsi que les procédures de mise en jeu inscrites dans l’article 49. Au delà de la responsabilité, c’est le poste de  Premier ministre  qu’il faudrait supprimer sauf à considérer qu’il pourrait jouer un rôle de vice-président.

L’autre suppression importante concerne le droit de dissolution prévue par l’article 12. Mais là encore une voie française pourrait être mise en place celle d’une « dissolution-démission » [27] qui permettrait d’éviter les crises. D’autres modifications seraient pourtant nécessaires.

    2° Les modifications secondaires

Il faudrait  revoir la procédure législative. Ainsi l’initiative de l’exécutif devrait être supprimée. Qu’il s’agisse de l’initiative globale ou de l’initiative partielle et secondaire c’est à dire l’amendement Même s’il est vrai qu’aux Etats-Unis l’initiative présidentielle existe de fait. Il faudrait aussi se poser la question du veto présidentiel et choisir le type de veto : irait-on jusqu’au veto sélectif ?

Mais c’est surtout l’ensemble des procédures du parlementarisme rationalisé qu’il faudrait supprimer. Le vote bloqué serait bien sûr condamné ainsi que la procédure de l’article 49.3. Il faudrait aussi s’interroger sur le maintien du système de partage de compétences entre la loi et le règlement.  

b – les dangers d’une telle solution

 

Le régime présidentiel n’est pas sans dangers. Il existe en effet des précédents fâcheux mais ce sont surtout les dangers actuels qui sont à prendre en considération.

    1° Les précédents fâcheux

En 1791 la Constituante va donner à la France un régime largement inspiré de la « constitution d’Angleterre » chère à Montesquieu et très proche de la Constitution de Philadelphie. C’est dire que l’on a déjà connu sinon un régime présidentiel au sens propre, en tous les cas un régime de séparation stricte des pouvoirs. Or il n’a pas bien fonctionné. C’est d’abord la responsabilité pénale des ministres qui se transformera en responsabilité politique avec le renvoi de Delessert. Mais surtout c’est  le veto royal qui ne sera pas accepté et dont l’emploi déclenchera indirectement la fin du régime.

La deuxième République démontrera également les dangers du régime de séparation rigide. Là encore, les conflits entre les deux pouvoirs ne pouvant pas être résolus par des voies pacifiques dégénéreront et seront tranchés par le coup d’Etat du 2 décembre 1851. Comme déjà cela s’était passé sous le Directoire qui pratiquait également un tel régime.

    2° Les dangers actuels

Le régime présidentiel américain fonctionne bien depuis plus de deux cents ans parce que l’isolement des pouvoirs ne débouche pas sur l’immobilisme voire l’affrontement. Le compromis politique supplée la séparation institutionnelle [28] . Or le compromis n’est possible que dans la mesure où le bipartisme américain est souple : la discipline  y est des plus réduites.

 En France, la Ve République a fait naître la bipolarisation. Ce système se caractérisant par l’existence de deux coalitions à vocation majoritaire qui alternent au pouvoir. Et où la discipline de vote est relativement forte. Un tel système engendrerait une dénaturation du régime présidentiel. Soit la majorité parlementaire serait conforme aux options présidentielles et on retomberait dans un présidentialisme majoritaire, soit la majorité parlementaire serait opposée au président de la République et alors le compromis nécessaire serait difficile à trouver.

Cependant, la situation politique évolue. Les deux coalitions sont de plus en plus hétérogènes. La droite défaite ne cesse de se diviser et la gauche est plurielle, manière positive  de souligner des différences qui pourraient se transformer en contradictions. Si le phénomène s’accentuait - et le régime présidentiel pourrait être un facteur d’accélération - l’émiettement du système de parti pourrait favoriser cette logique du compromis indispensable au régime présidentiel. Et si cet éclatement du système de parti n’était pas assez rapide on pourrait le favoriser en instaurant la proportionnelle comme le suggérait Dominique Rousseau. [29] Mais il ne suffit pas d’avoir un système souple encore faut-il pouvoir reconstituer ponctuellement des majorités bref trouver des accords positifs. Or la culture politique dominante en France se caractérise plutôt par la recherche de l’affrontement même si souvent il reste formel. En réalité le quinquennat a peu de chances de conduire au régime présidentiel, il renforcerait plutôt le présidentialisme.

 

B – Ou la volonté de renforcer le présidentialisme majoritaire

 

Le quinquennat renforcerait doublement  le présidentialisme. D’abord en rendant impossible la cohabitation ensuite en présidentialisant encore plus le système.  

a – En rendant impossible la cohabitation  

Le quinquennat devrait faire coïncider les élections présidentielles et législatives mais ce simple fait ne suffirait pas nécessairement à écarter la cohabitation.

1° Par la coïncidence des élections

Dès lors que les mandats présidentiel et législatif auraient la même durée les deux élections coïncideraient. Encore faudrait-il que cette  coïncidence soit prévue ou organisée en calant les deux mandats l’un sur l’autre. La prochaine échéance présidentielle aura lieu en effet en mai 2002 alors que les prochaines élections législatives se dérouleront au mois de mars 2002. La coïncidence n’est donc pas parfaite même si les deux élections auront lieu la même année et surtout l’ordre dans lequel elles se dérouleront ne l’est pas non plus.

Le résultat attendu de cette coïncidence des élections est la coïncidence des majorités et donc le présidentialisme qui serait ainsi établi sans possibilité de le voir remis en cause par une cohabitation. Mais ceci est moins sûr.

2° Les insuffisances  d’une telle solution

La coïncidence des élections n’engendre pas nécessairement et automatiquement la coïncidence des majorités parlementaire et présidentielle. Ainsi en 1988 la dissolution prononcé dans la foulée de l’élection présidentielle n’a pas donné à François Mitterrand la majorité absolue dont il avait besoin à l’Assemblée nationale. Bien sûr, il avait une majorité relative, bien sûr on a pu souligner que c’était le souhait du président. Il n’empêche que cette hypothèse doit sérieusement être envisagée, car si elle se répétait, elle rendrait inopérante la solution du quinquennat.

De plus, la coïncidence de la durée des mandats n’entraîne pas nécessairement la coïncidence des élections. La dissolution peut à tout moment interrompre le mandat parlementaire et ainsi décaler les élections présidentielles et législatives. Evidemment, le recours à cette extrémité reste exceptionnel, mais il suffit d’une fois ! Mais d'autres circonstances peuvent avoir les mêmes conséquences. Comme le fait remarquer Jean Gicquel : "Pour conjurer la cohabitation,…(il faudrait)…que l'on refuse au président le droit de …décéder ou de démissionner" [30] En réalité, c’est sur un autre terrain que le quinquennat renforcerait le présidentialisme si les écueils évoqués étaient évités.

 

b – En présidentialisant encore plus le régime

La position du Président de la République serait évidemment renforcée si le quinquennat était adopté. Son retour plus rapide devant les électeurs y contribuerait grandement ce qui ne serait pas sans dangers.

1° Par un retour plus fréquent devant les électeurs

La diminution de la durée du mandat présidentiel aurait pour effet majeur de renvoyer plus souvent ou plus rapidement le Président devant les électeurs, à condition que la possibilité d’accomplir plus d’un mandat soit prévue. Or se faisant on permettrait au Président de  puiser aux sources de sa légitimité après un laps de temps relativement court ce qui se traduirait par une meilleure mise en œuvre de sa responsabilité devant le peuple. En bonne logique le Président serait ainsi renforcé.

Mais, les autres voies de mise en œuvre de la responsabilité présidentielle s’éteindraient vraisemblablement. Le phénomène étant déjà largement avéré puisque le référendum tend à disparaître même si la dissolution est encore utilisée. Il est vrai que les résultats de la dernière en date ne favoriseront pas son emploi à nouveau.

2° Ce qui n'est pas sans inconvénients

Cette présidentialisation aggravée renforcerait les défauts du présidentialisme majoritaire. Le doyen Vedel les a parfaitement identifiés : « monarchisation de la présidence avec ses conséquences supposées de favoritisme et de corruption, effacement du Parlement » [31]

Le rôle du président ne cesserait en effet de grandir au niveau institutionnel où aucun domaine n’échapperait à ses interventions comme au niveau politique où l’élection présidentielle continuerait à transformer les partis en écuries présidentielles. Tout cela conduisant bien sûr à un déséquilibre des pouvoirs.

Face au président omnipotent, les contre-pouvoirs auraient tendance à s’effacer, le Parlement notamment dont on voit qu’il est de moins en moins le lieu des débats importants. Mais surtout, c’est le poids de l’opposition qui risquerait dans ce contexte d’être réduit encore.

Dans ces conditions la méfiance vis à vis du politique qui est aujourd’hui généralisée ne pourrait que se développer encore plus, atteignant un niveau alarmant.

 

                                                                      

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Faux problème que celui de la réduction du mandat présidentiel : une fausse bonne solution contre une bonne solution faussée ou qui risque de l’être. On pourrait être tenté de conclure ainsi. Or il n’en est rien.

 

Depuis 1986, le position du Président de la République a été contestée, remise en cause, bref il ne bénéficie plus aujourd’hui ni du prestige ni de l’autorité qui était les siens au début du régime sous les septennats du Général de Gaulle, de Georges Pompidou, de Giscard d’Estaing ainsi que d’une grande partie de ceux de François Mitterrand. Si pendant cette période une « convention de la Constitution » s’est construite affirmant la prééminence présidentielle, il semble que depuis 1986 et la première cohabitation s’en forme une nouvelle se traduisant par l’affaiblissement présidentiel et débouchant dans une certaine mesure sur une «revanche du régime parlementaire ».

 

Le choix du quinquennat irait à l’encontre de cette évolution. Le maintien du septennat la favoriserait au contraire. Tel est le véritable enjeu de la question.

 

 

                                                                                           Raymond FERRETTI

                                                                       Maître de conférences à l’Université de Metz.

                                                                                             



[1] Projet de loi constitutionnelle du 10 septembre 1973

[2] Le groupe comprenait Georges VEDEL, Olivier DUHAMEL, Guy CARCASSONNE, Hugues PORTELLI, Yves MENY. C’est  dans le Monde du 7 mai 1997 qu’il exposait ses vues. Voir également dans le même sens Françoise DECAUMONT "Le quinquennat, échec d'hier, solution de demain ?" In  Olivier DUHAMEL et Jean-Luc PARODI "La Constitution de la Cinquième République" Presses de la FNSP 1985 p. 486

[3] Voir « Propositions pour une révision de la Constitution » La documentation française 1993

[4] Voir notamment : Georges VEDEL  « Variations et cohabitations » POUVOIRS  n° 83 p.101 et Jean MASSOT « Alternance et cohabitation sous la Ve ». La documentation française. 1997.

[5] Entretien du 14 juillet, Le Monde, 16 juillet 1998

[6] Didier MAUS « Pour une république vraiment parlementaire » L’EXPRESS du 29/5/1997

[7] Marie-Anne COHENDET « La cohabitation, leçons d’une expérience » PUF 1993.

 Patrick AUVRET « La revanche du régime parlementaire » RDP 1997 p. 1231 et s

[8] Jean-Claude COLLIARD Les régimes parlementaires contemporains Presses de la Fondation nationale des sciences politiques 1978

[9] Maurice DUVERGER «Les institutions de la Cinquième République » RFSP 1959 p. 101 et s

[10] Patrick AUVRET « La revanche du régime parlementaire » RDP 1997 p. 1231 et s

[11] Maurice DUVERGER "Bréviaire de la cohabitation" PUF 1986 p. 88

[12] Pierre AVRIL «Diriger le Gouvernement » POUVOIRS n° 83 novembre 1997 p. 39

[13] Patrick AUVRET « La faculté d’empêcher du  Président de la République » RDP 1986 p. 141et s

[14] Jean MASSOT « Alternance et cohabitation sous la Ve ». La documentation française. 1997. P. 110

[15] Voir Marie-Anne COHENDET « La cohabitation, leçons d’une expérience » PUF 1993, voir également Christiane GOUAUD « La cohabitation » Ellipses 1996

[16] Voir Le Monde du 25 avril 1997

[17] Georges VEDEL « le pari de la succession » La Nef 1968 p 145 cité par Jean MASSOT « Alternance et cohabitation » op. cit. p. 69

[18] Stéphane RIALS « Le Premier ministre » PUF QSJ 1981 p. 77

[19] S. RIALS op. cit. p. 78

[20] Philippe ARDANT «Institutions politiques et droit constitutionnel » LGDJ 6e édition p. 493

[21] Jacques CHAPSAL «La vie politique sous la Ve République ». PUF Thémis  1881 p.636.

[22] Jean–Claude ZARKA « Fonction présidentielle et problématique majorité présidentielle / majorité parlementaire sous la cinquième République » LGDJ  1992  pp. 265 et s

[23] Jean GICQUEL op cit. p 501.

[24] Bernard CHANTEBOUT «Droit constitutionnel et science politique" A. Colin 1997 p. 530

[25] Pierre PACTET « Institutions politiques, droit constitutionnel » A. Colin 1998 p.363

[26] Voir Geneviève GONDOUIN Propos sur le régime présidentiel RDP 1998 p. 373 et s

[27] Voir Georges VEDEL Vers le régime présidentiel RFSP 1964 p 20-332 cité par G. GONDOUIN op. cit.

[28] Jean –Louis QUERMONNE  Les régimes politiques occidentaux  Seuil collection Point Essai 1994 p. 159

[29] Le Monde du 12 juin 1997

[30] Jean GICQUEL op. cit. p. 565

[31] Georges VEDEL  « Variations et cohabitations » loc. cit. p.119