Article paru dans la Gazette n°1833 du 10/04/2006 (page : 80)

 

Fiche d'actualité  LA LOI AUJOURD'HUI

Les modalités d'élaboration de la loi ont fait l'objet d'une actualité toute récente, avec le rapport annuel du Conseil d'Etat et une circulaire du Premier ministre.

Dans son dernier rapport annuel 2005, le Conseil d'Etat a stigmatisé, dans la partie intitulée « considérations générales », l'inflation législative. Dans le même temps, une circulaire (1) du Premier ministre invitait les ministres à respecter plus scrupuleusement la distinction du domaine de la loi et du règlement alors que, depuis quelques années, le Conseil constitutionnel veille à ce que la loi ne contienne que des dispositions normatives.

i. La multiplication des lois


Le Conseil d'Etat cite quelques chiffres éloquents. Ainsi, en 2000, on comptait 9 000 lois et 120 000 décrets. ­ ­Depuis, chaque année, 70 lois, 50 ordonnances et 1 500 décrets se sont ajoutés. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le Code du travail totalise plus de 2 000 pages et que le Code général des impôts comporte plus de 2 500 pages et 4 000 articles législatifs et réglementaires.

A. Insécurité juridique
S'il en est ainsi, c'est que les « producteurs de normes » se sont multipliés qu'il s'agisse de l'Union européenne, dont les nombreuses directives doivent être transposées en droit français, du gouvernement et du Parlement lui-même, des autorités administratives indépendantes, qui disposent d'un pouvoir réglementaire, des collectivités locales et, enfin, de l'opinion publique.
Cette inflation législative empêche les citoyens de connaître leurs droits avec précision et certitude et génère donc une insécurité juridique qui leur est préjudiciable. De plus, elle mine l'autorité de la loi et engendre des calendriers parlementaires de plus en plus difficiles à maîtriser.

B. Etude préalable
La solution préconisée par le Conseil d'Etat réside dans une loi organique qui subordonnerait le dépôt d'un projet de loi ou d'un projet d'ordonnance à une étude d'impact obligatoire. De plus, elle devrait prévoir une procédure simplifiée d'adoption des lois n'appelant pas de débat, en matière de transposition de directive ou de codification. Enfin, cette loi organique prévoirait un délai de quarante-huit heures minimum avant la séance plénière pour le dépôt de tout amendement créant une disposition nouvelle.

ii. La normativité de la loi

A. Exigence de normativité
Trop de lois comportent des dispositions purement décla­ratives, voire des annexes descriptives comportant des objectifs ou des principes d'action. Un épisode récent a montré que le législateur avait une fâcheuse tendance à se comporter en historien. Or, la loi n'a pas pour objet d'affirmer des évidences et des projets politiques, mais de fixer les normes comme le rappelle le Conseil constitutionnel : « La loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative », CC « Loi Fillon », décision n° 2005-512 DC, 21 avril 2005 (2).
Le président de l'Assemblée nationale a voulu à son tour souligner la nécessaire normativité de la loi en déposant une proposition de loi constitutionnelle rappelant que : « Sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, elle est par nature de portée normative », Assemblée nationale, n° 1832, proposition de loi constitutionnelle présentée par ­Jean-Louis ­Debré (3). De plus, le Premier ministre, dans une circulaire du 19 janvier 2006 (1), demande aux ministres « de veiller à ce que les projets de loi [.] soient exempts de toute disposition [.] non normative ».

B. Principe de clarté
Cette exigence de normativité va de pair avec la nécessaire précision et clarté du texte législatif. A cet égard, le Conseil constitutionnel a mis en avant, depuis sa décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, « Codification » (4), l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ; de même que dans sa décision n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000, loi d'orientation pour l'outre-mer (5), il a dégagé le principe de clarté de la loi.
Ce
principe, comme cet objectif, ont souvent été rappelés par le Conseil en ces termes : « Considérant qu'il appartient au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie l'article 34 de la Constitution [.], qu'à cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle du même article de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Décla­ration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent, afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. »


C. Textes exclus
Plus radicalement encore, par sa décision n° 2002-460 DC du 22 août 2002 (6), le Conseil constitutionnel a considéré que de simples orientations n'entraient, sauf exception prévue par la Constitution elle-même (lois de programme à caractère économique et social, lois de plan, rapports annexés aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale), dans aucune des catégories de textes législatifs prévus par la Constitution.

iii. La spécialité de la loi

A. Domaine de la loi et règlement
L'article 34 de la Constitution détermine ce qu'il est convenu d'appeler le domaine de la loi, en énumérant les matières législatives. On sait (lire « La Gazette » n° 7 du 13 février 2006, p. 74) que le Conseil constitutionnel a largement contribué à élargir ce domaine, notamment avec sa décision n° 82-143 DC, « Blocage des prix et des revenus » (7), par laquelle il énonce : « On ne saurait se prévaloir de ce que le législateur est intervenu dans le domaine réglementaire pour soutenir que la disposition critiquée serait contraire à la Constitution. » Ce faisant, la distinction du domaine de la loi et du règlement est devenue plus théorique. De nombreux textes ont ainsi franchi les limites de l'article 34. Bien sûr, le gouvernement peut toujours opposer l'irrecevabilité de l'article 41, il peut aussi utiliser la procédure du déclassement de l'article 37.2. Toutefois, si la première procédure n'était plus utilisée depuis plus de vingt-cinq ans, la seconde, certes un peu plus fréquente, ne permettait pas d'endiguer la « dérive » découlant de la décision « Blocage des prix ».

B. Vigilance
Là encore, une réaction semble se dessiner de différentes manières. Le Premier ministre a ainsi appelé les ministres à plus de vigilance, dans sa circulaire du 19 janvier 2006 relative au respect des articles 34 et 37 de la Constitution. Le président de l'Assemblée nationale propose de réviser l'article 41 de la Constitution afin de rendre systématique l'examen de la recevabilité des amendements et propositions de loi par rapport au domaine de la loi. Enfin , « l'affaire du caractère positif de la colonisation » et le déclassement de certaines dispositions de la loi qui s'en est suivi ont attiré l'attention du grand public sur cette question.

 

 



10 questions sur la loi
1. Le droit d'initiative des lois appartient, sous la Ve République : a) au Premier ministre b) aux ministres c) aux parlementaires2. Le Conseil d'Etat doit être consulté :a) uniquement sur tout projet de loi b) sur tout projet et proposition de loi c) uniquement sur toute proposition de loi3. Quelles sont les procédures protégeant le domaine du règlement ?a) l'irrecevabilité de l'article 41 de la Constitution b) l'irrecevabilité de l'article 40 de la Constitution c) la délégalisation de l'article 37.24. Le droit d'amendement appartient, sous la Ve République :a) au Premier ministre b) au gouvernement c) aux parlementaires5. Les amendements parlementaires peuvent être écartés par le gouvernement : a) s'ils ont pour conséquence la diminution des dépenses b) s'ils ont pour conséquence l'augmentation des recettes c) s'ils ont pour conséquence l'augmentation d'une dépense6. Lors du débat public, le gouvernement : a) peut s'opposer à tout amendement b) peut s'opposer à tout amendement qui n'a pas été examiné en commission c) ne peut plus s'opposer à un amendement7. Le « vote bloqué » ne peut être utilisé :a) qu'à l'Assemblée nationale b) qu'au Sénat c) à l'Assemblée nationale et au Sénat8. Lors du « vote bloqué », le gouvernement : a) peut s'opposer à tout amendement b) ne peut s'opposer qu'aux amendements déjà examinés en commission c) ne peut s'opposer à aucun amendement9. Le gouvernement peut donner « le dernier mot » à l'Assemblée nationale :a) en vue de l'adoption de n'importe quelle loi ordinaire b) en vue de l'adoption de n'importe quelle loi organique c) en vue de l'adoption de n'importe quelle loi constitutionnelle10. Le Conseil Constitutionnel peut contrôler la constitutionnalité des lois ordinaires :a) à tout moment b) uniquement avant la promulgation c) uniquement après la promulgation Réponses : 1/ a et c, 2/ a, 3/ a et c, 4/ b et c, 5/ c, 6/ b, 7/ c, 8/ a, 9/ a, 10/ b

Raymond FERRETTI , maître de conférence à l'université de Metz et à Sciences Po Paris

(1) Circulaire du 19 janvier 2006, relative au respect des articles 34 et 37 de la Constitution.(2) Décision n° 2005-512 DC, 21 avril 2005, loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école.(3) Assemblée nationale, n° 1832, 5 octobre 2004, proposition de loi constitutionnelle tendant à renforcer l'autorité de la loi, Jean-Louis Debré.(4) Décision n° 99-421 DC, 16 décembre 1999, loi portant habilitation du gouvernement à procéder, par ordonnance, à l'adoption législative de certains codes.(5) Décision n° 2000-435 DC, 7 décembre 2000, loi d'orientation pour l'outre-mer.(6) Décision n° 2002-460 DC, 22 août 2002, loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure.(7) Décision n° 82-143 DC, 30 juillet 1982, loi sur les prix et les revenus.

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