Fiche d'actualité
LA LOI AUJOURD'HUI
Les modalités
d'élaboration de la loi ont fait l'objet d'une actualité toute
récente, avec le rapport annuel du Conseil d'Etat et une circulaire
du Premier ministre.
Dans son dernier rapport
annuel 2005, le Conseil d'Etat a stigmatisé, dans la partie
intitulée « considérations générales », l'inflation
législative. Dans le même temps, une circulaire (1) du Premier
ministre invitait les ministres à respecter plus scrupuleusement la
distinction du domaine de la loi et du règlement alors que, depuis
quelques années, le Conseil constitutionnel veille à ce que la loi
ne contienne que des dispositions normatives.
i. La multiplication des
lois
Le Conseil d'Etat cite quelques chiffres éloquents.
Ainsi, en 2000, on comptait 9 000 lois et 120 000 décrets.
Depuis, chaque année, 70 lois, 50 ordonnances et 1
500 décrets se sont ajoutés. Dans ces conditions, il n'est pas
étonnant que le Code du travail totalise plus de 2 000 pages et
que le Code général des impôts comporte plus de 2 500 pages et
4 000 articles législatifs et réglementaires.
A. Insécurité juridique
S'il en est ainsi, c'est que les « producteurs de normes
» se sont multipliés qu'il s'agisse de l'Union européenne, dont les
nombreuses directives doivent être transposées en droit français,
du gouvernement et du Parlement lui-même, des autorités
administratives indépendantes, qui disposent d'un pouvoir
réglementaire, des collectivités locales et, enfin, de l'opinion
publique.
Cette inflation législative empêche les citoyens de
connaître leurs droits avec précision et certitude et génère donc
une insécurité juridique qui leur est préjudiciable. De plus, elle
mine l'autorité de la loi et engendre des calendriers parlementaires
de plus en plus difficiles à maîtriser.
B. Etude préalable
La solution préconisée par le Conseil d'Etat réside
dans une loi organique qui subordonnerait le dépôt d'un projet de
loi ou d'un projet d'ordonnance à une étude d'impact obligatoire. De
plus, elle devrait prévoir une procédure simplifiée d'adoption des
lois n'appelant pas de débat, en matière de transposition de
directive ou de codification. Enfin, cette loi organique prévoirait
un délai de quarante-huit heures minimum avant la séance
plénière pour le dépôt de tout amendement créant une disposition
nouvelle.
ii.
La normativité de la loi
A. Exigence de
normativité
Trop de lois comportent des dispositions purement
déclaratives, voire des annexes descriptives comportant des
objectifs ou des principes d'action. Un épisode récent a montré que
le législateur avait une fâcheuse tendance à se comporter en
historien. Or, la loi n'a pas pour objet d'affirmer des évidences et
des projets politiques, mais de fixer les normes comme le rappelle le
Conseil constitutionnel : « La loi a pour vocation d'énoncer des
règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative »,
CC « Loi Fillon », décision n° 2005-512 DC,
21 avril 2005 (2).
Le président de l'Assemblée nationale a voulu à son
tour souligner la nécessaire normativité de la loi en déposant une
proposition de loi constitutionnelle rappelant que : « Sous réserve
de dispositions particulières prévues par la Constitution, elle est
par nature de portée normative », Assemblée nationale, n° 1832,
proposition de loi constitutionnelle présentée par Jean-Louis
Debré (3). De plus, le Premier ministre, dans une circulaire
du 19 janvier 2006 (1), demande aux ministres « de
veiller à ce que les projets de loi [.] soient exempts de toute
disposition [.] non normative ».
B. Principe de clarté
Cette exigence de normativité va de pair avec la
nécessaire précision et clarté du texte législatif. A cet égard,
le Conseil constitutionnel a mis en avant, depuis sa
décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, «
Codification » (4), l'objectif de valeur constitutionnelle
d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ; de même que dans
sa décision n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000, loi
d'orientation pour l'outre-mer (5), il a dégagé le principe de
clarté de
la loi.
Ce
principe, comme cet objectif, ont souvent été rappelés par le
Conseil en ces termes : « Considérant qu'il appartient au
législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie
l'article 34 de la Constitution [.], qu'à cet égard, le
principe de clarté de la loi, qui découle du même article de la
Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle
d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des
articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen de 1789, lui imposent, afin de prémunir les sujets de
droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou
contre le risque d'arbitraire, d'adopter des dispositions suffisamment
précises et des formules non équivoques. »
C. Textes exclus
Plus radicalement encore, par sa décision n°
2002-460 DC du 22 août 2002 (6), le Conseil
constitutionnel a considéré que de simples orientations n'entraient,
sauf exception prévue par la Constitution elle-même (lois de
programme à caractère économique et social, lois de plan, rapports
annexés aux lois de finances et aux lois de financement de la
sécurité sociale), dans aucune des catégories de textes
législatifs prévus par la Constitution.
iii. La spécialité de la loi
A. Domaine de la
loi et règlement
L'article 34 de la Constitution détermine ce qu'il
est convenu d'appeler le domaine de la loi, en énumérant les
matières législatives. On sait (lire « La Gazette » n° 7 du
13 février 2006, p. 74) que le Conseil constitutionnel
a largement contribué à élargir ce domaine, notamment avec sa
décision n° 82-143 DC, « Blocage des prix et des revenus
» (7), par laquelle il énonce : « On ne saurait se prévaloir
de ce que le législateur est intervenu dans le domaine réglementaire
pour soutenir que la disposition critiquée serait contraire à la
Constitution. » Ce faisant, la distinction du domaine de la loi et du
règlement est devenue plus théorique. De nombreux textes ont ainsi
franchi les limites de l'article 34. Bien sûr, le gouvernement
peut toujours opposer l'irrecevabilité de l'article 41, il peut
aussi utiliser la procédure du déclassement de l'article 37.2.
Toutefois, si la première procédure n'était plus utilisée depuis
plus de vingt-cinq ans, la seconde, certes un peu plus
fréquente, ne permettait pas d'endiguer la « dérive » découlant
de la décision « Blocage des prix ».
B. Vigilance
Là encore, une réaction semble se dessiner de
différentes manières. Le Premier ministre a ainsi appelé les
ministres à plus de vigilance, dans sa circulaire du
19 janvier 2006 relative au respect des articles 34 et
37 de
la Constitution. Le
président de l'Assemblée nationale propose de réviser
l'article 41 de la Constitution afin de rendre systématique
l'examen de la recevabilité des amendements et propositions de loi
par rapport au domaine de
la loi. Enfin
, « l'affaire du caractère positif de la colonisation » et le
déclassement de certaines dispositions de la loi qui s'en est suivi
ont attiré l'attention du grand public sur cette question.
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10 questions sur la loi
1. Le droit d'initiative des lois appartient, sous
la Ve République
: a) au Premier ministre b) aux ministres c) aux
parlementaires2. Le Conseil d'Etat doit être
consulté :a) uniquement sur tout projet de loi b) sur
tout projet et proposition de loi c) uniquement sur
toute proposition de loi3. Quelles sont les
procédures protégeant le domaine du règlement ?a)
l'irrecevabilité de l'article 41 de la
Constitution b) l'irrecevabilité de l'article 40
de la Constitution c) la délégalisation de
l'article 37.24. Le droit d'amendement
appartient, sous la Ve République :a) au Premier
ministre b) au gouvernement c) aux parlementaires5.
Les amendements parlementaires peuvent être écartés
par le gouvernement : a) s'ils ont pour conséquence
la diminution des dépenses b) s'ils ont pour
conséquence l'augmentation des recettes c) s'ils ont
pour conséquence l'augmentation d'une dépense6. Lors
du débat public, le gouvernement : a) peut s'opposer
à tout amendement b) peut s'opposer à tout
amendement qui n'a pas été examiné en commission c)
ne peut plus s'opposer à un amendement7. Le « vote
bloqué » ne peut être utilisé :a) qu'à
l'Assemblée nationale b) qu'au Sénat c) à
l'Assemblée nationale et au Sénat8. Lors du « vote
bloqué », le gouvernement : a) peut s'opposer à
tout amendement b) ne peut s'opposer qu'aux
amendements déjà examinés en commission c) ne peut
s'opposer à aucun amendement9. Le gouvernement peut
donner « le dernier mot » à l'Assemblée nationale
:a) en vue de l'adoption de n'importe quelle loi
ordinaire b) en vue de l'adoption de n'importe quelle
loi organique c) en vue de l'adoption de n'importe
quelle loi constitutionnelle10. Le Conseil
Constitutionnel peut contrôler la constitutionnalité
des lois ordinaires :a) à tout moment b) uniquement
avant la promulgation c) uniquement après
la promulgation Réponses
: 1/ a et c, 2/ a, 3/ a et c, 4/ b et c, 5/ c, 6/ b,
7/ c, 8/ a, 9/ a, 10/ b
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Raymond FERRETTI
,
maître de conférence à l'université de Metz et à Sciences Po
Paris
(1) Circulaire du 19 janvier 2006, relative au respect
des articles 34 et 37 de la Constitution.(2) Décision n° 2005-512
DC, 21 avril 2005, loi d'orientation et de programme pour l'avenir de
l'école.(3) Assemblée nationale, n° 1832, 5 octobre 2004,
proposition de loi constitutionnelle tendant à renforcer l'autorité
de la loi, Jean-Louis Debré.(4) Décision n° 99-421 DC, 16 décembre
1999, loi portant habilitation du gouvernement à procéder, par
ordonnance, à l'adoption législative de certains codes.(5) Décision
n° 2000-435 DC, 7 décembre 2000, loi d'orientation pour
l'outre-mer.(6) Décision n° 2002-460 DC, 22 août 2002, loi
d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure.(7)
Décision n° 82-143 DC, 30 juillet 1982, loi sur les prix et les
revenus.
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